Granny-Smith, Ch9 : Ice crime.
Un Vosne-Romanée Prémier Cru Cros Parentoux, millésime 85. C’était l’évidence même et il était jusque là passé à côté. On ne fait d’ultime potion qu’avec un ultime breuvage de base, et pas avec une fin de cuve de mauvais Beaujolais Nouveau. A arme absolue, vin d’exception. Tant d’années d’échecs, de maigres réussites, de succès acceptables pour enfin couronner le tout par l’extraction en une bouteille de la quintessence du mal. Enfin, il avait réussi. Il est heureux. Sur son visage se dessine le plus carnassier, méchant, effrayant et mortel des sourires que la Terre, cette bonne vieille planète qui en avait pourtant vu passer d’autres, ait pu porter. Ses doigts fins se serrent en un petit poing revanchard. Dans son cerveau malade, c’est le Monde qu’il écrase de son pouvoir. Maintenant qu’il le peut, plus personne, vous entendez ? Plus personne ne l’empêchera de devenir le Maitre de l’Univers.
Dans son antre de glace (un méchant doit toujours vivre dans une caverne, une grotte de glace, ou au pire une cave, question d’image) les récipients bouillonnent au dessus des flammes bleues des becs benzène. Les alambics fument, les potions crépitent. D’un robinet pourtant quelconque s’écoule la combinaison d’un des meilleurs vins de la planète et de quelques ingrédients savamment choisis. Au bleu azur des murs répondent le jaune vif de la poudre d’or, le vert de la chlorophylle et le noir du Poivre de Java, reposant tranquillement au fond de tubes à essai. Lui, gris au milieu de cet arc-en-ciel, c’est Adolf Josip Paul Chétif, ingénieur en chimie moléculaire à la retraite, s’apprête à imposer sa toute puissance sur tous ceux qui n’ont jamais compris son génie. S’apprête j’ai dit. Parce que pour l’instant…
Pour l’instant l’interphone se met à grésiller.
— Adou, la blanquette est prête ! Tu viens ?
— Deux minutes, je termine de réparer le vieux transistor et j’arrive.
— Tu vas encore manger froid. Ne traîne pas s’il te plait. J’ai horreur de regarder Julien Lepers toute seule.
— Oui, oui, j’arrive.
Quatre à quatre, il se dirige vers le couloir de sortie. Il actionne la manette et pousse la lourde porte dont les joints plastiques collent un peu aux parois (un changement est à prévoir, c’est fou ce que ça peu provoquer comme surconsommation d’énergie). Dans un nuage de brume blanche, il franchit le seuil et referme derrière lui, s’assurant du verrouillage du système. De retour dans le monde des vivants, il accroche son épais manteau à capuche de fourrure sur le perroquet et regarde, pas peu fier, ce vieux frigo Ariston qui masque si bien l’accès à son domaine. Maintenant dans la cave de sa maison coquette de banlieue parisienne, Adolf, que son épouse appelle affectueusement Adou, redevient le mari aimant et attentionné que ses voisins connaissent à peine. Il remonte l’escalier, le nez encore un peu rougi par les quatre degrés (en tout cas quand le joint du frigo ferme bien) qu’il arrive à maintenir dans ce sous-sol secret. Au rez de chaussé, il ferme à clé la porte de la cave -pour ne pas que les enfants y descendent et tombent, il parait, ce à quoi son épouse rétorque qu’aucun enfant n’est jamais venu dans cette maison et qu’ils ont passé l’âge limite pour en faire qui soient en bon état- et rejoint l’adorable Évelyne qui partage sa vie depuis deux ans maintenant. La seule qui ne lui ai jamais demandé à visiter son antre. Les précédentes… le froid conserve admirablement les corps parait-il.
Dans la cocotte posée sur le dessous de plat, le veau baigne dans la crème, en compagnie de petits légumes. Sur la table, deux assiettes de porcelaine, des couverts en argent, des verres à pied. il s’installe, serviette sur les genoux, et allume la télévision en appuyant sur le bouton de la télécommande.
— Et nous accueillons, pour tenter la cinquième victoire, Madaaaaaaaaame Granny-Smith !
Séquence découverte… Xav Bidule !
Très chers lecteurs, laissez moi vous présentez un homme que le hasard des contacts Facebook a poussé à ma rencontre. C’est un multicarte, un polydoué, un magicien du dessin (dites mois si j’en fait trop)… Xav Bidule.

-Bon Xav… puisqu’on se tutoie quand on discute, on ne va pas jouer au présentateur télé qui vouvoie ses amis de beuverie. Tel un inquisiteur des temps modernes, je vais te soumettre à la question pour que les lecteurs qui me suivent te découvrent un peu. Ne soit pas choqué, ça sera très intime…
-Alors c’est parti.
-Poiré ou liqueur de Quetsches ?
Un artiste fétiche ? Et Pourquoi ?
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Plic-ploc fait la pluie
J’adore le cliquetis des gouttes d’eau qui pianotent à ma fenêtre. Je reste là à écouter leur douce musique, faite de plics et de plocs. Mozart, Rachmaninov, allez vous rhabiller, jamais votre oreille n’entendra plus douce mélopée, jamais les doigts de vos interprètes les plus illustres ne fileront plus vite sur les blanches et les noires que l’eau sur mes vitres. Et tout ça, simplement, parce que c’est sous cette douce musique que je l’ai aperçue pour la première fois. Ces sons là parlent à mon cœur mieux que vos concertos. Ils tordent mon ventre comme vous ne saurez jamais le faire.
C’était dans les premiers frissons de l’automne, quand il pleuvait par période de 10 jours sur la jolie Place aux Oignons. Les pavés brillaient, les lumières s’allumaient tôt, et les touristes qui découvraient Lille le faisaient sous un parapluie ou un imperméable. Et moi dans tout ça, je tuais mes soirs assis bien au chaud, sur le rebord de ma fenêtre, un livre inutile à la main, un chat persan voyageur à mes côtés, à regarder s’ébrouer le monde un peu plus bas : ce couple qui se chamaillait, cette mamie qui dodelinait d’un pas lent en remontant vers la Déesse, ces passant qui passaient, plus ou moins bien dans leur peau et dans leur tête, cet homme volage qui circulait au même endroit avec deux femmes différentes sous le bras à quelques heures d’intervalle, ces touristes qui faisaient marcher le commerce local en abreuvant de leurs devises les boutiques de luxe du quartier.
Un soir de pluie, donc, mon cœur est tombé par la fenêtre. Une chute de trois étages, sans filet, pour atterrir à ses pieds. Le temps s’était arrêté et la fraction de seconde seulement si vous avez l’âge de ne plus être sage
[Top]Ch 3 Le Sang et l’Encens : Ubud
La chaleur est étouffante, mais le petit vent qui souffle rend agréable cette jolie aube. Le soleil pointe à peine le bout de son nez et éclaire les volcans environnants, peignant d’or les lèvres de leurs cratères endormis. Autour, la nature est de vert vêtue. C’est la belle saison, celle des fruits qui commencent à mûrir, des récoltes de riz et des touristes à foison. Dans une feuille de cocotier pliée, quelques fleurs de frangipanier, des pétales multicolores, et un bâton d’encens qui fume. Elle dépose l’ensemble à même le sol, sur la Jalan Tirta Tawar. Une offrande aux dieux, un cadeau, qu’elle accompagne d’une petite feuille de papier griffonnée et pliée plusieurs fois, qu’elle laissera bruler. Un peu d’ici, un peu de là bas.
Les volutes de fumées vont s’élever, et porter sa prière aux Dieux.
Elle va monter sur son scooter avec deux de ses amies, slalomer entre ses compatriotes et se rendre dans les ateliers de sculpture sur bois. Elle travaillera sur une magnifique représentation de Ganesh dans un énorme morceau de Santal, qu’elle devrait avoir terminée dans la semaine. Si seulement le dieu-éléphant pouvait lui venir en aide…
A coup de ciseaux à bois, le demi-tronc calé entre ses cuisses, elle façonnera les moindres détails, les fleurs, les feuilles et chaque ride du visage. Ici, tous les habitants sont des artistes.
Elle prendra une courte pause, pour aller se chercher une portion de nasi goreng dans un warung non loin de là, la petite roulotte à nourriture tenue par son ami Acep. Elle en profitera pour discuter un peu, et enterrer derrière un sourire tellement local ses soucis. Et puis elle repartira travailler ce bois précieux à l’odeur envoûtante, aussi sourire encore aux visiteurs effrayés de la voir jouer du ciseau et du marteau à quelques centimètres de ses cuisses qui enserrent l’objet.
Enfin, le soleil commencera à descendre derrière les colonnes, et les éclairages blafards ne suffiront plus à ses yeux vieillissants. Elle posera ses outils, ira attendre face à la boutique que ses amies Ni Si Wayan et Ni Si Made. Au loin, un muezzin entonnera l’appel à la prière du soir, et sur son chapeau de paille quelques gouttes de pluie commenceront à tomber, apportant de la fraîcheur à l’atmosphère si lourde.
Chaque journée copie la précédente. Une seule chose à changé : il n’est plus près d’elle. Pour ceux qu’il croisera, elle a peur. Leur sang coulera.
[Top]Ch.6: Super Granny-Smith
Par le judas, elle les observe quitter les lieux. Le ton est haut entre le fils et la belle-fille, ça râle, pour ne pas dire, ça s’engueule. Elle adore ça, elle jubile mémé. Ces grippe-sous ne devraient pas repasser avant leur départ en vacances. D’ailleurs, pas sur que la belle-fille remette un jour les pieds dans la maison de Granny-Smith. Cette fois elle a fait fort. Bon, le café salé qu’elle leur avait malicieusement servi, le sable dans les sablés qu’elle avait réalisé (elle s’en fout, elle déteste les sablés, ce sont des gâteaux pour gâteux)… ils avaient mis tout ça sur le dos d’un Alzheimer débutant. La fois où elle les avait appelé, trois nuits de suite, à quatre heures du matin, pour savoir quelle heure il était -oui, bon, le réveil est posé à côté du téléphone et fonctionne à merveille-, ils avaient mis ça sur le dos de l’angoisse de la mamie seule. En même temps, il ne fallait pas oublier sa fête, et puis c’est tout !
Mais là, réussir à les virer avant même qu’ils soient entrés, ça la faisait jubiler intérieurement. Granny-Smith Un-Zéro pour les jeunes malpolis. (suite…)
Châpitre Two: comme un poison d’eau douce
-Bordioul de Dieu ! Qu’esse c’est que c’te baille. C’est l’canal de Suez qui r’foule ! Les vieilles et les enfants d’abord ! L’batieau y coule ! Tertous aux canots d’sauvetage.
Elle a le verbe fleuri, le parler des anciens, et « c’est pas tiz’aut qui va m’faire quinger maintenant ! ». Elle a aussi un petit centimètre d’eau qui imbibe ses souliers et qui remonte par capillarité le long de ses bas de contention. Au bout du couloir, une feuille de papier, navire de fortune, descend la rivière de ses inquiétudes pour venir buter sur ses tatanes. L’eau s’écoule, doucement mais sûrement, depuis les pièces fermées, jusqu’aux trois petites marches qui pourraient l’amener au jardin si elle avait envie d’aller s’y ennuyer.
-C’est pas l’Julien qui va v’nir sauver Mamie, y sait pas par quel bout ça s’tient, eun clé à mojettes ! Rejeton d’andouillette ! M’bouée canard, et j’ai plus qu’à trouver l’bonne clé ! Trou d’fin d’vendeur d’baraques ! Si j’le choppe par l’pieau du dos c’ti là, j’y retourne sin calcif par dessus s’tiête !
Ses pas courts et mal assurés l’amènent au tiroir du buffet, le fameux tiroir à bordel que tout le monde quelque soit son âge possède. Elle jette les piles à l’eau, la loupe par dessus son épaule, et en sort un anneau rassemblant une petite dizaine de clés, toutes identiques pour ses petits yeux fatigués.
-Bin me v’là fin bien ! Corn’eud cocu !
A contre-courant, comme le saumon dans le Potomac (sauf qu’elle est plus poison que poisson), elle remonte vers la porte sous laquelle s’écoulent pour ce soir ses espoirs de mourir tranquille. Une lumière s’en échappe, par flashs irréguliers, avec, c’est sûr, pour unique but de lui faire croire qu’elle va mourir grillée au 220V. Si elle l’avait vue, on l’aurait entendu jurer, évidemment, que si la gégène n’avait pas eu sa peau, EDF ne l’aura pas non plus. Elle trifouille, elle tripatouille le trousseau à la recherche de La clé. On dirait Passe-Partout en robe de chambre devant les cellules de Fort-Boyard. Premier essai : la clé ne rentre même pas. Deuxième, il y a du mieux, mais le barillet ne tourne toujours pas. Troisième, retour à la case départ. Vite, la clepsydre. Quatrième, cinquième, elle ne vivra jamais le grand amour avec La Boule et ne verra pas Félindra et la tête de tigre. La sixième clé glisse dans la fente, poussée par ses doigts tremblants, elle tourne doucement et libère la gâche. Mamie enfonce avec difficulté la porte qui grince autant que ses articulations et libère quelques mètres cubes d’eau supplémentaire, qui s’en ira arroser les fleurs du jardin. C’est définitif, elle marche dans des éponges à carreaux marrons.
-J’savos que j’t’aurais eu ! On n’arrête pas Simone avec une porte in bois ! Tadaaaaaa !
La pièce est éclairée par intermittence et par une lampe qui clignote au plafond, qui lui donne un aspect des plus lugubre. C’est une sorte de caverne d’Ali-Baba, un capharnaüm meublé de vieilleries posées ici ou là, de feuilles libres, de livres, de tableaux gribouillés par des équations mathématiques incompréhensibles, surtout quand, comme Simone, on n’a pas eu son brevet d’études. Sur le bureau, on retrouve des fioles vides et/ou cassées, des Büchner, un réchaud de camping et un alambic. Par terre, collé au bureau, un casier à bouteilles. Et au fond de la pièce, deux vannes d’arrêt sur le même tuyau, qui dégueule l’eau.
-D’diou, c’est l’cabanon d’Frankenstein ? Y f’zot quoi l’vieux d’avant mizaut ? Y décantot de l’gnole ?
C’est bien la première de la journée qu’un sourire éclaire sa face flétrie. Julien lui a interdit l’alcool, « parce qu’avec ton diabète Mamie, tu comprends ». Elle a tout à fait compris qu’on voulait qu’elle crève, mais surtout pas en s’amusant un peu.
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